Ne plus avoir mal à son travail !

Isabelle Barth
Professeur des Universités et chercheur en Management

Ce siècle sort de l’adolescence et nous avons toujours autant mal à notre travail. Le mot le plus associé à travail est souffrance ! La souffrance au travail s’est développée en quelques années de façon exponentielle, même dans les professions qui peuvent paraître les plus privilégiées. Ainsi, les chiffres de l’absentéisme chez les cadres, les cas de dépressions chez les fonctionnaires sont là pour le montrer (1).
Donnons-nous comme objectif  de sortir de cette spirale vicieuse et encore trop silencieuse.La solution est entre nos mains !

Longtemps, le travail a été un mal nécessaire

Certes, il y a l’étymologie du mot lui-même puisque travail vient du latin Tripalium qui désignait soit un instrument de torture, mais aussi, et c’est peut être plus significatif le lieu où l’on ferrait les bœufs pour les mettre … au travail ! De même, dans la Genèse, le travail est la sanction de la transgression de l’interdit divin de goûter au fruit défendu : « Maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie » (Gn 3,17). Rappelons nous aussi que le mot travail est aussi associé aux souffrances de l’accouchement pour la femme.
Pendant des siècles, le travail a été réservé à ceux qui ne pouvaient faire autrement et réduisait donc les « travailleurs » à un statut d’inférieurs dans la société. Le travail a toujours été considéré comme un « mal nécessaire » que décrivait Nietzsche comme le « dur labeur ».
Ce n’est que récemment que les mots désignent les maux et qu’on prend en compte les troubles physiques ou psychiques associés au travail. On peut ainsi constater qu’un quart des salariés en Europe voient leur santé altérée par un trouble lié à la sphère professionnelle, que les diagnostics de Troubles Musculo Squelettiques (TMS) augmentent de 20 % par an ou que les pathologies dues au travail sont de plus en plus nombreuses (1).
Ces symptômes sont aussi ceux de grands changements dans notre rapport au travail.

Le grand paradoxe de ces dernières décennies

Nous vivons en effet en plein paradoxe : nous travaillons de moins en moins et nous attendons de plus en plus du travail. Si on s’en réfère aux chiffres (2), en 1900, on travaillait en moyenne 200 000 heures dans une vie, contre 67 000 heures aujourd’hui. Le temps « hors travail » de la vie éveillée était de 12 % en 1900, alors qu’elle est de 40 % un siècle plus tard.
La raison de ce paradoxe ? Le travail, malgré les nombreux discours, n’est plus une valeur en soi, il est resitué dans un champ d’expression d’autres valeurs qui sont : l’expression de soi, l’autonomie, la réalisation personnelle, la créativité …. En termes d’attentes, nous sommes tout en haut de la pyramide de Maslow ! Mais la réalité professionnelle ne répond pas à ces expectatives de plus en plus fortes… Loin de là ! D’où un sentiment d’aliénation de plus en plus fort. Comme l’a défini Marx, être aliéné, « c’est devenir étranger à soi-même, ne plus se posséder ». Cette perte d’identité de soi « au travail » est de plus en plus difficile à vivre dans ce siècle où les injonctions au bonheur, à la réalisation, à l’épanouissement… sont de plus en plus fortes. De même, il est de plus en plus difficile de vivre au quotidien un travail frustrant alors que, dans le même temps, les exemples de travailleurs « heureux » se démultiplient sur les réseaux sociaux.
On oublie souvent que des métiers maintenant attractifs étaient déconsidérés : c’est le cas des musiciens qui ont longtemps été au rang des domestiques (comme ce fut le cas du grand Jean Sébastien Bach à la cour de Weimar), ou des comédiens qui étaient enterrés dans les fosses communes.
Comment sortir par le haut de ce paradoxe ?

Retrouver la Praxis

En fait, tout le monde rêve d’un métier qui ne serait pas conçu comme un travail. Il faut donc distinguer métier et travail. Distinguer la profession de l’effort pour arriver à la performance, comme l’illustre la fameuse expression : « Il y a du travail ! » … pour arriver à tel ou tel objectif.
Il s’agit donc de retrouver la Praxis. Pour les Grecs, la Praxis était "l’action qui en tant qu’elle continue à transformer le monde transforme l’agent qui l’accomplit". La Praxis se distingue de la Poiesis qui renvoie à l’opération mécanique de production.
La Praxis, c’est le plaisir de s’accomplir, de se construire soi-même à partir de ce que l’on fait. Cela implique que « nos actions soient proportionnées à nos facultés ou accordées à notre nature », comme le disait déjà St Thomas d’Aquin au XIIIème siècle. C’est vers cet état qu’il faut tendre, et la solution est entre nos mains.

Comment avoir moins mal à son travail ?

Ce n’est pas le travail en soi qui est aliénant ou ressenti comme dégradant ou frustrant, mais les conditions dans lesquelles on est amené à l’exercer.
Combien de personnes détestent non pas leur métier, mais la façon dont elles doivent l’exercer ? Sans marge de manœuvre, sans sentiment de maîtriser ce qu’elles font, sous la pression d’une productivité toujours plus grande, sans véritable reconnaissance, avec des contrôles de plus en plus nombreux et exigeants …. Elles vivent l’exercice de leur profession comme un travail au sens premier de l’effort et de la souffrance. Alors que, pratiqué dans de bonnes conditions, le même métier pourrait leur apporter tant de choses : la reconnaissance, le lien social, l'expression de soi …
Ce sont bien les conditions dans lesquelles est exercé un métier qui permettent de passer la frontière entre frustration et épanouissement.
La solution est bien entre nos mains : il est vain de vouloir inventer de nouveaux métiers, ou de leur donner de nouveaux noms. Ce qui est vital, c’est de changer le management et les conditions dans lesquelles il est pratiqué. Et cette option ne relève que de nous. Il s’agit de faire le choix de changer nos modalités de management, de refuser une vision mécanique du travail, de préserver l’humanité de l’univers professionnel, de pratiquer le dialogue, ou encore donner du sens aux tâches demandées.
Faire de la vie d’un salarié un enfer est facile, le rendre fier de son métier est possible ! Donnons nous comme objectif de réussir ce pari d’un univers professionnel valorisant et bienveillant pour que personne n’ait plus mal à son travail en 2017 !
PS : ce billet vaut pour la France, et se centre sur ceux et celles qui exercent une activité bien évidemment ... Il est inspiré du chapitre "Travailler ou s'épanouir, faut-il choisir ?" du livre co-écrit avec Yann-Hervé Martin : La manager et le philosophe, éditions Le Passeur, 2014.
(1) Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation "Souffrance et travail" 1997-2008, Marie Pezé, éditions Pearson, 2008
(2) « Nouveau portrait de la France : la société des modes de vie », Jean Viard, Editions de l'aube, Paris, 2012

 

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Résumé de l'article

Donnons-nous comme objectif  de sortir de cette spirale vicieuse et encore trop silencieuse.La solution est entre nos mains !

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